il y a en ce moment un voilier, un ketch du nom de “My Way” qui fait route vers la Guadeloupe, au départ du Cap Vert. Le capitaine s’appelle C**, qui convoie son propre voilier vers la Nouvelle-Calédonie où il réside. Parti vers le 15 Mars, il ne devrait pas tarder à y arriver et j’attend avec impatience un mail qui me dira à quelle date je dois être à Colon, Panama, où je devrais embarquer comme homme de pont.
Colon est objectivement une des portes de l’enfer. Je connais peu d’endroits sur cette planète qui ont une aussi mauvaise réputation, mais c’est le lieu hautement stratégique où j’ai le plus de chance de faire du bateau-stop, de trouver un embarquement. Et pas n’importe lequel, vu qu’il est question de traverser l’Océan Pacifique, la plus grande masse d’eau de la planète, où les étapes se comptent en mois, où on peut passer plusieurs semaines sans même voir un oiseau, où les jours se fragmentent au rythme du vent.
J’ai traversé l’Atlantique en cargo jusqu’à Buenos Aires, puis les amériques avec divers moyens, pour finalement vivre au Nicaragua. Comme j’essaie de trouver un schéma, une logique à mon errance, je me dis d’abord qu’ayant traversé l’Atlantique sur un énorme bateau, il y aurait une certaine élégance à vouloir traverser le Pacifique sur un frêle esquif. Et en arrière pensée, je me dis que pourquoi pas, pourquoi ne pas faire le tour du monde?
Ceci bien sûr est le coté riant de mes motivations. Celui que j’aime faire circuler. L’autre coté n’est pas vraiment noir, mais pas brillant non plus: J’arrive en fin de cycle. Une manière de vivre qui ne me correspond plus. Des addictions dont j’aimerais me débarasser. Une reprise en main de tout mon être qui tend à se déliter.
Je me dis que la discipline d’un bateau, la nécessaire promiscuité, le manque de ressources et, surtout, l’appel d’un horizon illimité sont exactement ce dont j’ai besoin. Et le plus long sera le mieux.
Alors pour le formuler de plus élégante façon, ce que ce que vraiment je désire, c’est Voguer vers l’Ouest au Printemps. Une formulation qui plairait à ce vieux Chen Fu. J’ai toujours aimé sa compréhension et sa dérision, son coté iconoclaste et son éducation, sa pertinence et son irrévérence. J’ai même parfois le sentiment que Chen Fu est un vieil ami, avec lequel j’ai traversé moult monts et campagnes. Un ami un peu fou, un peu sage, un esprit alerte, une si désirable curiosité. Il y a chez lui cette simplicité dans le but à atteindre, cette transparence sur la façon dont on peut l’atteindre qui ne peuvent que me pousser dans cette sensible direction: Voguer vers l’ Ouest au Printemps.