samedi 27 août 2011

Papeete, Tahiti


Retour à Tahiti. J’ai retrouvé à Rangiroa ce vieux R**, rencontré déjà à Colon, Flamingo Bay et Hivaoa. Une semaine que je voyais ce bateau au mouillage en face de chez A** en me disant, j’ai déjà vu ce voilier quelque part... 
R** m’a offert une bonne porte de sortie. Trois semaines que j’étais dans la famille de A** sans que les plans fabuleux qui feraient de moi enseignant les échecs ou l’espagnol ne se réalisent et à part le coprah (ouille mon dos) je n’ai pas fait grand chose. De fait, ma position commençait à devenir génante, hébergé dans une famille polynésienne sans avoir vraiment de quoi revendiquer pour ma nourriture quotidienne à part patauger dans le lagon avec ses gosse (même si on n’oublie pas la prière pour remercier le Seigneur avant chaque repas). 
J’ai donc remercié A** pour son hospitalité et j’ai embarqué sur le «Jolly Jumper», un sloop de quarante pieds en fibro avec un intéressant pilote automatique à vent et un capitaine avec une gueule qui n’aurait pas dépareillé une séquelle de «Pirates of the Caribean», version non expurgée par Walt Disney Company®. R** est un bandido venézuélien, un de ces contrebandiers assez malins pour avoir évité «le gros coup», celui qui les envoie inévitablement en taule, assez matois pour avoir fait sa pelote et se sentir paisible pour le reste de son existence.
Voulant me rendre utile, je me suis renseigné sur l’heure des marées et nous sommes partis au moment du jusant pour traverser la passe et sortir à l’air libre, à l’océan.
Mauvais calcul. Le capitaine m’a demandé de me tenir à la proue, n’étant pas bien sûr des fonds dans le lagon et alentours. On naviguait avec des cartes d’au moins vingt ans d’âge, des photocopies de photocopies dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et les bancs de sable ou de corail ont eu depuis toute latitude pour changer de place,  apparaitre ou disparaitre. En arrivant dans la passe, le jusant était depuis longtemps passé et on a eu droit au mascaret dans toute sa splendeur, ce phénomène dont j’ai parlé déjà en disant qu’il fournissait un amusant terrain de jeu aux dauphins.
Des marmites avec des creux de trois mètres, dont l’amplitude équivalait malheureusement à la longueur du bateau. Toujours à la proue, j’ai commencé à monter et à descendre de plus en plus, et pas moyen de retrouver la relative sécurité du cockpit.
Oh, dear... Je me suis accroché comme un damné à son ultime confession. Un bras autour du génois et l’autre au bastingage (le Fou sur la Delfinière, mon pote, hi-ho!) je faisais des bonds de plus en plus amples, quittant le sol en arrivant au sommet et me faisant copieusement asperger en touchant les vagues. Jusqu’à ce que l’amplitude soit suffisante pour que je me retrouve carrément sous l’eau, gloub, surgissant ensuite des vagues en poussant un grand cri, merde, si on doit se foutre en l’air, autant que ça fasse du bruit! 
Arrivant au sommet, j’avais les pieds loin au dessus de la tête (A** vient de m’appeler. Un ami à lui m’a vu faire et il parait qu’on rie encore dans les chaumières de Rangiroa en parlant de ma prestation) mais j’ai survécu, on a fini par passer ce foutu  mascaret et je suis toujours là pour en parler. Ouf...
C’est curieux comment les moments les plus délétères peuvent se révéler les plus gratifiants, pour peu qu’on y survive. Comme le disait le grand Nimzovitch, un mauvais coup non réfuté est un excellent coup. R** m’a regardé revenir à la poupe dégoulinant de partout, se sentant un peu coupable, ne sachant trop quoi faire ni dire. J’ai éclaté de rire à voir sa mine déconfite, tout va bien et la prochaine fois je ferai un peu plus attention aux horaires, merci de demander.
Le reste du passage était plutôt tranquille, ou presque. Totale pétole pendant deux jours, suivi d’un vent de trente noeuds dans le nez, surgi de nulle part, avec la houle qui va avec. On a mis vingt-quatre heures de trop pour arriver mais j’étais en bonne compagnie. Mon hôte avait bonne cave, bonne bibliothèque. J’ai eu le temps de lire la moitié d’une rafraichissante «Histoire d’ Espagne Racontée aux Sceptiques» de Juan Eslava Galan, de manger le pain maison arrosé d’ail et d’huile d’olive, et de discuter Krishnamurti, Carl Sagan et Perez-Reverte. (Sur ce dernier, nous sommes tombés d’accord pour dire que ses récits de guerre, la Sombra del Aguila et Trafalgar, sont parmis les livres les plus hilarant jamais écrits).
Et me voilà de nouveau à Tahiti, cherchant une fois encore à aller à Tetiaroa dont je dois me concilier le puissant tiki qui, pour une raison qui m’échappe, n’a pas l’air de vouloir de moi dans son île...

mercredi 17 août 2011

Rangiroa, Tuamotu

Noix de coco, mode d’emploi.  
Il existe quatre stades distincts dans sa maturation: Quand elle est verte, elle est gorgée d’eau. On la décapite, on boit, on s’en met partout mais qu’est-ce que c’est bon! Elle a très peu de chair à l’intérieur mais celle-ci est gélatineuse, absolument délicieuse. 
Quand elle est jaune, il reste de l’eau mais la chair s’est formée (l’amande). Elle est alors parfaite pour préparer le lait de coco, ce qui n’est pas une mince affaire: Il faut d’abord enlever toute l’enveloppe extérieure, la bourre. Quand on a enfin son amande à peu près propre, on perce un trou pour récupérer le liquide, puis on la coupe en deux et on rape le coco, qu’on mélangera ensuite avec le liquide. On passe le tout à travers un drap pressé et on a son lait. Ajoutez-y un peu de sel, un fruit de l’arbre à pain cuit sous la braise et de la chair de poisson, cru ou cuit, et on a un festin de roi. Le tout se mange avec les doigts et bien sûr, on s’en met partout. Temps de préparation: Au moins deux heures si la pêche a été bonne. 
Quand elle jaune et est germée, c’est ecore le plus facile. Il suffit de la fendre et on a une boule légèrement poreuse, comme un de ces bonbons qu’on trouvait dans les boulangeries. Se mange sans faim. Miam.
Quand elle est grise et qu’elle a encore de l’eau (et pas de trou sur le coté signalant le passage d’un rat) alors on la ramasse pour le (gasp) coprah. D’abord, il faut bien évidemment les rassembler, ce qui n’est pas le plus rapide. Les polynésiens utilisent des bâtons terminés par des crochets pour ne pas avoir à se baisser, des petites gaffes qui leur servent aussi à lancer les cocos et je dois dire qu’ils sont étonnament précis (il y a un concours de lancé de coco pendant la Heiva). La manière de faire se situe quelque part entre la pétanque et le cricket. 
Quand on a son bon gros tas de coco, c’est le moment de prendre la hache. Une rapide prière à sainte Eglantine, la patronne des doigts de pieds, et tchac! Et encore tchac! L’idée, c’est de fendre la noix d’un seul coup, de préférence au centre pour avoir deux moitiés bien ouvertes avec la chair accessible.
C’est l’idée. J’ai fait un vrai massacre la première heure. J’ ai réduit ces pauvres noix en bouillie. Maintenant je m’affine, j’arrive à peu près à taper au centre mais il y a le fameux «coup sec» que visiblement je ne maitrise pas. Certaines sont encore gorgées d’eau et ça m’ EXPLOSE à la figure. On s’en met partout, mais qu’est-ce qu’on rigole! De plus, à chaque fois je dois extirper la foutue hache, enfoncée jusqu’à la garde dans un coco qui refuse à s’ouvrir.
Bien. Une fois qu’on a toutes ses noix fendues on les ramasse et on andenne pour les faire sécher deux ou trois jours. On monte des petits murs, bonjour les reins, avec les noix ouvertes comme des coquilles de moules les unes sur les autres. Puis on se redresse satisfait, en se disant qu’on a gagné deux jours de répit.
Que nenni. Une cocoteraie, ça se nettoie. Toutes ces palmes grises ne font pas jolies dans le paysage et il faut un sol dégagé. Pas de «gourmands», de mauvaises herbes ou de repousses pour profiter d’un sol déjà très pauvre. On veut des cocotiers épanouis, qui laissent tomber leur manne avec l’insouciance que donne l’abondance.
Une fois que nos noix sont raisonnablement sèches, on attrape une sorte de grosse cuillère affutée qui sert à extirper la chair, de préférence en un seul morceau. C’est le coprah, qui va servir à faire des huiles et des parfums.
On s’assied, on se cale, son mur de coco en face de soi, et vas-y Gaston! En trois coups de cuillère à pot, comme disait ma grand’mère. Les champions qui se mesurent à la Heiva arrivent à fendre et vider deux cents cocos en douze minutes. J’ai préféré ne pas compter, mais un chiffre similaire a bien dû me prendre toute la journée. J’ai de gros progrès à faire.
Quand enfin on a terminé, qu’on s’est débarassé des bourres, qu’on a tout nettoyé et qu’on a mis le copra à sécher au sol sur des sacs, on peut enfin aller piquer une tête dans l’eau cristalline du lagon et là, là, c’est carrément divin. La parfaite température. La parfaite fluidité. Même le sel est bon à prendre.
Allongé sur ma couche de fortune, le dos en vrac, les mains bouillantes d’ampoules, tout les muscles qui tirent, je me dis que tout ceci n’aura pas été inutile. J’e me plais à  imaginer que, quelque jour, une belle enduira son corps somptueux de cette huile abondamment arrosée de ma sueur, et j’en éprouve une rebondissante satisfaction.

vendredi 12 août 2011

Rangiroa, Tuamotu

J’habite maintenant dans la maison «d’en haut». C’est la côte au vent, celle qui fait face à l’océan. La où les cocotiers s’inclinent au rythme du ressac. C’est plus sauvage, moins habité. Peu de maisons qui osent se dresser face à la mer. Comparé au calme du lagon, ce coté-ci sonne presque tempête. 
 L’eau a construit ici une digue de corail mort, presque quatre mètres, le plus haut point de l’ile. Les maisons se tiennent en retrait derrière cette barrière, un peu en contrebas, mais c’est quand même «là-haut» et la pluspart des habitants de ce coté de l’atoll préfèrent vivre «en bas».
La maison est spacieuse. Un popa avec des ambitions qui a dû vendre à moitié chantier. Toute l’aile arrière n’a pas de toit ni de menuiseries. Elle a tout de même carrelage au sol et moulures ornementées dans la partie habitable. Un coté médittéranéen. Elle me rappelle quelque part la maison du Procés Verbal de Le Clézio.  Si ce n’était pour le mobilier spartiate et le système électrique défectueux, elle serait très agréable à vivre. Comme Alex me l’a fait remarquer, c’est quand même mieux que la pension Teamo où nous étions à Tahiti. Et en plus je n’ai pas de loyer, alors... 
Je la partage avec Sam, un marquisien émigré venu ici faire de la soudure à l’aluminium, pour retaper un certain nombre de barques du même métal. Sam est bien costaud comme un marquisien et il raconte des histoires étranges, comme cette grotte qu’il a visité enfant avec son père sur Ua Pou. Il s’y trouvaient des pirogues alignées avec dans chacune le squelette d’hommes de plus de trois mètres. Comme il m’a ensuite parlé de soucoupes volantes, son récit a perdu un peu en crédibilité et c’est dommage. J’aimais bien l’idée d’une race de géants isolés dans les îles. Après tout, n’a-t-on pas trouvé récemment l’Homme de Flores en Indonésie, une race de nains cette fois-ci. Pardon, pas une race, une espèce. Comme le Néanderthal, l’Homme de Flores a un code génétique différent de l’Homo Sapiens. S’il existe au moins trois espèces distinctes d’hominidés dans l’histoire récente, alors pourquoi pas quatre?
Où l’on reparle de Mû, le continent englouti de ce coté-ci des Amériques. Des mouvements de peuples dans le Pacifique, comme ce roi fondateur de Chan-Chan venu par la mer, ou ces coiffures de princes mayas sur les têtes des danseurs polynésiens, ou encore à quel point les femmes au Nicaragua me faisaient penser à Gauguin...

mardi 9 août 2011

Rangiroa, Tuamotu

 Je suis à Ohutu, ce qui, nul ne l’ignore, se situe entre Avatoru et Tiputa. Plus précisémment, l’atoll de Rangiroa (se prononce ranguiroa) a la forme d’une baleine et Avatoru est la passe nord qui correspond à l’évent. Les marées génèrent de forts courants dans ces passes. A marée basse, le lagon qui se déverse dans l’océan est contrarié par la houle de Nord-Est, ce qui amène des vagues suffisamment hautes pour plaire aux dauphins qui viennent s’y éclater. J’en ai vu un faire une figure inédite, du moins pour moi: Sortir à la verticale et, la queue touchant à peine l’eau, faire un tour complet sur lui-même en criant yahoo! Un rien les amuse...
Rangiroa est aussi connu pour ses nombreux requins. A peu près toutes les espèces y sont représentées, sauf le Grand Blanc, ce dont je serai le dernier à me plaindre. La maison de A**, qui m'a invité à passer quelques jours en famille, est située au bord du lagon et on y a un splendide couché de soleil. Hier soir, j’ai vu comme cela passer un aileron à peut-être cinq mètres du bord, là où d’habitude je me baigne, et ce matin m’est passé à coté un Pointe Noire - juste un bébé, dieu merci, pas plus d’1 mètre et déjà toutes ses dents - alors que j’avais de l’eau jusqu’à mi-cuisse. Je n’ai pas encore fait de plongée et je dois dire que j’appréhende un peu. Déjà qu’avec des requins nourrices je ne suis pas vraiment à mon aise. Enfin, j’imagine qu’on s’habitue...