J’habite maintenant dans la maison «d’en haut». C’est la côte au vent, celle qui fait face à l’océan. La où les cocotiers s’inclinent au rythme du ressac. C’est plus sauvage, moins habité. Peu de maisons qui osent se dresser face à la mer. Comparé au calme du lagon, ce coté-ci sonne presque tempête.
L’eau a construit ici une digue de corail mort, presque quatre mètres, le plus haut point de l’ile. Les maisons se tiennent en retrait derrière cette barrière, un peu en contrebas, mais c’est quand même «là-haut» et la pluspart des habitants de ce coté de l’atoll préfèrent vivre «en bas».
La maison est spacieuse. Un popa avec des ambitions qui a dû vendre à moitié chantier. Toute l’aile arrière n’a pas de toit ni de menuiseries. Elle a tout de même carrelage au sol et moulures ornementées dans la partie habitable. Un coté médittéranéen. Elle me rappelle quelque part la maison du Procés Verbal de Le Clézio. Si ce n’était pour le mobilier spartiate et le système électrique défectueux, elle serait très agréable à vivre. Comme Alex me l’a fait remarquer, c’est quand même mieux que la pension Teamo où nous étions à Tahiti. Et en plus je n’ai pas de loyer, alors...
Je la partage avec Sam, un marquisien émigré venu ici faire de la soudure à l’aluminium, pour retaper un certain nombre de barques du même métal. Sam est bien costaud comme un marquisien et il raconte des histoires étranges, comme cette grotte qu’il a visité enfant avec son père sur Ua Pou. Il s’y trouvaient des pirogues alignées avec dans chacune le squelette d’hommes de plus de trois mètres. Comme il m’a ensuite parlé de soucoupes volantes, son récit a perdu un peu en crédibilité et c’est dommage. J’aimais bien l’idée d’une race de géants isolés dans les îles. Après tout, n’a-t-on pas trouvé récemment l’Homme de Flores en Indonésie, une race de nains cette fois-ci. Pardon, pas une race, une espèce. Comme le Néanderthal, l’Homme de Flores a un code génétique différent de l’Homo Sapiens. S’il existe au moins trois espèces distinctes d’hominidés dans l’histoire récente, alors pourquoi pas quatre?
Où l’on reparle de Mû, le continent englouti de ce coté-ci des Amériques. Des mouvements de peuples dans le Pacifique, comme ce roi fondateur de Chan-Chan venu par la mer, ou ces coiffures de princes mayas sur les têtes des danseurs polynésiens, ou encore à quel point les femmes au Nicaragua me faisaient penser à Gauguin...