jeudi 28 juillet 2011

Tahiti

La vie ici est très chère et je cherche à m’échapper mais à tout prendre ce n’est pas désagréable. Les polynésiens sont plutôt sympas avec leur accent chantant et roucoulant. Personne ici n’a l‘intention de devenir le Roi du Monde et cela se ressent dans leur manière d’être. Même les français, les popas, sont plus décontractés que dans leur Paris natal. Sans doute l'éloignement. Le sentiment d'avoir réussi un joli coup. Après tout, ce n'est pas tout le monde qui arrive à Tahiti. Une sorte d' apothéose pour qui prend le métro tout les jours avec ces affiches de ciel bleu et cocotier aperçues à travers les fenêtres de la rame d'en face.
   Ayant moi-même passé pas mal de temps dans les couloirs du métro, je m'associe à ce sentiment de réussite, d'avoir comme eux pu traverser les voies et plonger à travers l'affiche pour enfin me retrouver à Tahiti, à l’autre bout du monde...
La semaine prochaine, je suis invité à Rangiroa dans les Tuamotu par A**, qui me propose entre autres d’aller y enseigner les échecs. Ayant toujours un peu gardé la mentalité d’un journalier, j’espère aussi pouvoir y récolter la coprah, la chair des cocos qu’on utilise pour faire de l’huile. Un métier supposément très dur mais je n’ai rien contre un peu d’effort physique et je suis sans le sou.

jeudi 14 juillet 2011

Tahiti


Je commence à avoir des pistes pour aller dans les îles. Un chantier de menuiserie à Tetiaroa, enseigner les échecs à Rangiroa. Je vis dans un petit guest house, partageant un dortoir avec des gens n’étant pas plus chanceux que moi. J’ai tout de même un aperçu des îles. En juillet, c’est la grande Heiva de Tahiti où viennent les sportifs et danseurs de tout le triangle polynésien. J’ai vu des groupes des Marquises... Que je n’avais pas vu aux Marquises.
La Heiva de Tahiti n’est pas un attrape-touriste. Les polynésiens sont autant spectateurs qu’acteurs et ils ont un public d’aficionados. C’est le moment où les gens des Gambiers rencontrent les Marquisiens, que les habitants de Moorea parlent avec ceux des Australes, et il y a toujours une place pour un Rapa Nui, un habitant de l’île de Pâques. Ils maintiennent une constance compétition qui va bien au delà que de soulever des pierres. Je suis épaté de la richesse de la culture polynésienne, pour le peu que j’en vois. Je ne m’attendais pas à une telle qualité des chorégraphies. Les chants polyphoniques sont parfois ahurissant de complexité. Ils me paraissent bien un peu criard mais c’est qu’une telle musique s’apprend. Il faut du temps pour en saisir les nuances.
Ce qu’on remarque aussi avec cette Heiva, c’est à quel point les gens des îles sont sains. Ils sont grands et costauds, les femmes rondes et plaisantes. Et il n’y a pas à dire, ces tatouages sont vraiment seyant. Là encore il y a un art véritable, une esthétique unique. J’ai vu de très belles statues tiki en bois mais c’est vraiment dans les tatouages que j’ai vu la plus grande créativité. Une plastique qui curieusement me fait penser aux celtes. Une symbolique très puissante, librement exprimée sur leur corps, une part essentielle de leur personnalité. J’espère un jour mériter le mien.

mercredi 6 juillet 2011

Tahiti

Hier je me suis offert un petit cadeau, une carte du monde. Un carte physique, au 33millième, mais de toute façon ce ne sont pas les continents qui m’intéressent, juste les océans. Je me souviens de cette carte des Caraïbes que j’avais mis au mur de ma chambre d’hôtel crasseuse à Paris, quand j’y travaillais pour payer mon voyage. C’est cette grande tâche bleue qui m’avait permis de tenir, à être pour un temps au moins fourmi dans la fourmillière. Les cartes ont parfois cet effet-là...
Aujourd’hui c’est différent. J’ai succombé à ce désir enfantin de marquer ma trajectoire sur la carte. Avec une règle et un stylo-bille, j’ai fait se rejoindre Marseille et Buenos Aires, Santa Cruz et Panama, Granada et les Marquises. J’ai même poussé le vice jusqu’à dessiner le véhicule sur chaque segment important. Un plaisir de gamin mais pourquoi se le refuser? Et puis quoi, je suis fièr, j’ai bien avancé. Je ne dois pas être loin des Antipodes, donc de la moitié de la planète. Sans même parler des aller-retours en Amérique Centrale, j’ai bien dû faire 30 mille kilomètres depuis mon départ de Marseille. 3 ans et 30 mille kilomètres. Le Temps, Madame? Quand on marche sur le Chemin de Compostelle, il arrive ce moment-clé où on bascule d’un besoin d’avancer à tout prix, jusqu’ à un besoin de retenir son pas. On commence à envisager la fin et on ne veut pas que cela finisse. Le net passage où le chemin devient plus important que le but, celui qui fait que Lao-Tseu sourit en se passant lentement la main dans la barbe. 
Je précise tout de suite, je n’ai pas encore atteind ce passage. Je suis arrété à Tahiti pour raisons financières. D’un coté j’aimerais bien continuer vers l’Ouest, de l’autre j’aimerais bien naviguer dans les îles alentours. Je n’ai vu jusque là qu’une cote déserte aux Galapagos et une rangée de cocotiers aux Tuamotu. 

vendredi 1 juillet 2011

Papeete, Tahiti

Arrivé après quatres jours de mer à bord du thonier «Phoenix». Un passage sans problème pour Vincent, patron-pêcheur d’origine bretonne, et Tevea, matelot marquisien avec une tête de viking s’il en fut jamais. Dormir sur le pont, il n’en fut pas question. J’ai dormi sur le sol de la timonerie et fait mes besoins par-dessus bord comme les copains. Quand je pense que je me plaignais du confort sur le My Way... Sur le Phoenix, c’est un concept inexistant. Le bateau est parfaitement fonctionnel, un petit thonier japonais de douze mètres fait pour des sorties en mer de deux ou trois jours. Dormir est une option.
Et curieusement j’ai bien dormi. Dans des positions bizarres, enroulé dans mon hamac, calé contre mon sac et les deux portes de la timonerie, hélas trop courte d’une dizaine de centimètres. A dire vrai, j’ai adoré ce passage. On a eu une mer d’huile tout du long, avec une belle houle d’Est et un bon gros diesel qui ronrronait comme un chat trop bien nourri. 
J’ai passé ces quatres journées - et ces quatre nuits - à l’avant, bien calé entre la coque et les aussières de proue, sous le vent bien sûr, même si dès le deuxième jour j’aurais pu m’asseoir au vent. Un régal. Tout ce qu’on avait à faire, c’est cuisiner et rouler des joints.
Vu le bruit du moteur, j’écoutais les histoires que me racontait Vetea avec divers degrés de compréhension. Mais il avait un visage extrèmement expressif, ainsi qu’une gestuelle qui rendrait jaloux un napolitain. Je comprenais, quelque part. Je riais quand il fallait rire et mes rares questions n’étaient pas totalement à coté de la plaque. Mais c’est surtout la mobilité de son visage que je retenais, sa gueule de foutu viking avec le crin blond-roux et la barbe de rigueur, marquisien de père en fils avec en plus un patronyme japonais. Raide du matin au soir, capable de te raconter Moby Dick en V.O., sans que je sache de quelle V.O. Il s’agit.
Pour ne rien gacher, à la nouvelle lune, donc autant d’étoiles dans le ciel qu’il peut en tenir. Je ne quittais mon coin à la proue que pour aller dormir, et encore je me relevais plusieurs fois, pour boire un peu d’eau ou fumer une cigarette. 
Et puis, pourquoi le cacher? J’étais content de moi. J’aurais pu trouver un voilier mais passer des Marquises à Tahiti sur un petit chalut donnait à toute l’affaire un cachet particulier. Vincent était du genre taciturne, probablement timide. Il ne partait pas en mer sans cinq ou six bouquins, qu’en plus il lisait. Les repas se prenaient en silence, pas tant par discipline qu’à cause du bruit. Un bateau comme le Phoenix est un moteur avec une coque autour. Mais je crois néammoins que cela lui convenait. 
Quand on arrive sur un nouveau bateau, on essaye de comprendre les codes, on s’adapte aux attitudes. J’ai regardé comment chacun se servait, nettoyait après usage ses ustensiles. Même la manière de s’asseoir, les déférences cachées. J’étais le troisième passager d’un bateau qui n’en prenait que deux. Il fallait quelque part que je me coule dans le moule, que je n’apparaisse pas comme superfétatoire, voire carrément nocif.
Je n’ai pas été à la hauteur, je le dis franchement. L’équipage du Phoenix m’a accepté sur leur bateau. Ils ont été sympathiques et polis. Mais ils ne m’ont pas considéré comme un des leurs.
Et c’est sans doute que je le ne suis pas. Marin. D’où me vient cette stupide ambition? Devenir marin... Avoir cette assise sur le bateau, ce dédain pour la mer alentour. Avoir cette tranquille exactitude dans les gestes, dans la manière de nouer un boute ou enfiler une aiguille. Ces deux-là étaient enviables, chacun à leur manière. Toute une gestuelle à apprendre, mieux encore, une attitude.
Une attitude que j’aimerais bien avoir. Que j’aurais peut-être, mais certainement pas en la disséquant ou la synthétisant. Un jour, comme cela, tout à coup, je serais en train de marcher sur un quai et je regarderais avec envie et luxure le prochain coureur qui voudra m’emmener. Et je saurais que c’est exactement ce que je veux, ce dont j’ai besoin. Monter à bord. Sentir le pont sous ses pieds, la vibration des haubans sous ses doigts. Humer l’air. Sentir. Décider.
Le Fou sur la Delfinière. Sauter de pont en pont, de port en port. Naviguer à cloche-pieds sur cette planète, uniquement tenu par le désir d’en faire le tour. Qu’importe le temps, qu’importent les distances? S’il y a une chose que j’ai compris en faisant Compostelle, c’est qu’il n’y a pas de date de pérennité quand il s’agit de rêves. Le Temps, Madame? Que nous importe!