vendredi 30 septembre 2011

en mer

L’arrivée aux Tongas fut une plaisante surprise. Je n’imaginais pas voir dans cette région du monde ces falaises rouillées percées de grottes, ce plateau de basalte découpé par la mer qui me rappela immanquablement la baie d’Halong. Arrivés dans le port de Neiafu, nous mîmes le bateau à quai en attendant les douanes mais on nous fit comprendre qu’ils ne viendraient pas avant le lendemain matin. L’heure c’est l’heure et pas de raison que les fonctionnaires tongiens soient différents des autres. Malgré l’interdiction d’aller  à terre, chacun est allé faire tranquillement ses courses. J’ai trouvé un cybercafé, bu une bière locale et fait provision de fumigènes, comme disait Gainsbourg. Au milieu de la nuit, un fort vent s’est levé, projetant le bateau contre le quai, au point où le capitaine a décidé de dégager. Après avoir tourné un moment à la recherche d’un corps-mort, il a décidé de jeter l’éponge et nous sommes repartis vers le large, pas mécontent après tout puisque nous avions fait les appros et n’avions pas eu à payer la centaine de dollars que les consciencieux serviteurs du royaume de Tonga comptaient nous soutirer dans la matinée.

Une courte rencontre, mais qui me laisse un souvenir durable et l’envie de revenir plus à loisir naviguer dans cet archipel. Dans la matinée nous sommes passé au large de Late, la plus occidental des îles, juste un volcan posé sur l’eau, qui m’a ramené à la vie que j’ai laissé là-bas, loin, quand je promenais des touristes anglo-saxons en Amérique Centrale et que je leur expliquais la tectonique des plaques, shield volcano, volcans stromboliens, plinéiens, et la ceinture de feu du Pacifique. Avec un peu d’émotion, je me suis aperçu que ce volcan est la première marque, le premier soupçon que je suis effectivement passé de l’autre coté, que j’ai traversé d’Est en Ouest cette large tâche bleue sur les cartes que je leur montrais.

lundi 26 septembre 2011

Vavau, archipel des Tonga

Nous sommes passés au large des Cook et devrions atteindre les Tonga dans deux jours. Contre toute attente, notre allure est mainenant au près avec un vent de nord-ouest. Avec l’équinoxe nous arrive des informations contradictoires de la météo sur les différentes formations en jeu dans cette zone. On peut s’imaginer deux titans, deux barbus omnipotents jouant distraitement au go, avançant sur le tablier du Pacifique pions blancs et noirs, anti-cyclones et dépressions, et nous autres là en dessous, minuscules, essayant de zigzaguer entre les pièces...
Dans un de ses savoureux proverbes marins, Jean nous en avait prévenu. Voyant de beaux cirrhus rougeoyant dans le couchant, il s’était écrié: «Ciel échevelé et queue de jument font serrer la voile aux bateaux les plus grands.» Le lendemain, déjà bien incertain, l‘oracle se fit encore plus précis: «Soleil en hauban dans le couchant, marin, prépare ton caban!»
Tu parles... La nuit même, les grains se sont succédés. Depuis, la girouette a montré les quatre points cardinaux, il a fallu sans cesse changer la voilure et l’allure, avec des alternances de calme plat et de grains montant jusqu’à trente noeuds. On a eu droit à l’essentiel de la rose des vents, sauf, sauf celui de Sud-Est censé être notre pain quotidien dans cette traversée. Les alizés ne sont plus ce qu’ils étaient.
Je ne peux résister à l’envie de citer un autre de ses proverbes (mon préféré): «Ciel pommelé et femme fardée ne sont pas de longue durée». A bon entendeur...

dimanche 18 septembre 2011

Maupihaa

Des vents capricieux nous en emmenés plus au Nord que prévu jusqu’aux Iles sous le Vent. Nous avons attendu une journée à Raiatera que les alizés reprennent, ce dont je serai le dernier à me plaindre puisque nous sommes ainsi passé au large de Tahaa et surtout Bora Bora, montant sur l’horizon comme une forteresse céleste, sans nul doute le palais d’été de Neptune et Nérée.

Mes séminaristes se sont avérés très sympathiques, Jean un excellent marin et son voilier rapide et maniable (un Shark 45, pour les connaisseurs). Pour preuve l’entrée dans la passe de Maupihaa, dix mètres de large au mieux avec des arètes de corail affleurant des deux cotés et le mascaret de rigueur. On s’est quand même fait des sueurs froides, ce qui fait qu’une fois dans le lagon, on a patrouillé jusqu’à trouver des traces d’habitation dans une île apparemment déserte, pour essayer de connaitre les horaires des marées et le meilleur moment pour reprendre une passe qui ressemble un peu trop à une nasse.
Population: 1 habitant, une vahiné dont la vue m’a fait dire que les temps avaient bien changés depuis l’époque où Bougainville avait été tellement ébloui par leur beauté qu’il avait appelé Tahiti la Nouvelle Cythère. Un autre voilier avait tenté la même folie avant nous et elle était à leur bord, trop occupée  à vider leur cave (deux mois qu’elle était seule dans l’île) pour nous réciter la table des marées. 
Depuis que nous avons quitté les Iles de la Société, l’eau est devenue d’un bleu exquis, indigo, tendant vers le violet quand d’aventure un nuage passe devant le soleil. Une couleur éminement reposante pour l’oeil, comme si cette particulière fréquence avait le don d’apaiser et les sens et l’esprit.
Nous avançons bien. Vent arrière, le capitaine n’hésite pas à mettre toute la toile, génois et trinquette en ciseau, et jusqu’aux serviettes mises à sécher sur les glissières. Une confortable moyenne de huit noeuds avec des pointes allant jusqu à quatorze noeuds quand le bateau part en surf sur les vagues, seulement tenu par la quille. 
Une sensation grisante, qui me change agréablement de C**, qui affalait tout ce qu’il pouvait à la moindre survente, au moindre petit grain à l’horizon, ne laissant du génois que le string d’une danseuse brésilienne. Que dis-je? L’étiquette du string!

mardi 13 septembre 2011

Bye bye Tahiti

Quand le géant Hiro, dieu des voleurs et des navigateurs, commença à rassembler les îles du Pacifique, il captura le Monstre des Mers et lui coupa les tendons pour qu’il reste ainsi à la même place, au centre des archipels. C’est Tahiti Nui, le grand serpent endormi, que je regarde pour la dernière fois depuis le ferry pour Moorea. Demain j’embarque sur le K’ed, un sloop de quarante pieds à destination des Tongas et la Nouvelle Calédonie.
Le plan Tetiaroa m’est encore passé sous le nez, pour la troisème fois. Je renonce. Direction Nouméa où, dit-on il y a beaucoup de travail et on vous paye en pépites de nickel. Il ne se passe rien dans ce pays. Les décideurs ne se décident pas à décider. Tout le monde se regarde en chien de fayence et absolument rien ne bouge. C’est la crise, mon bon monsieur.
Après deux mois à attendre un travail qui n’est jamais venu, je me retrouve en faillite déclarée, comme le premier pays occidental venu. Vexant, non? Encore une fois j’embarque à la desperado, tellement pressé de partir que je saute sur le premier pont sans chercher à savoir s’il ne va pas couler à la sortie de la baie. M’enfin le bateau à l’air solide, coque en aluminium, plus récent que son équipage de sexagénaires qui m’a fait comprendre déjà qu’à bord c’était no drug, no sex, no rock’n’roll. L’ électricité est comptée et on se baigne sur le pont à grands coups de seau. J’ai déjà vécu cette situation quelque part... 
Quand j’y pense... J’ai lâché au Nicaragua une chouette petite bicoque et un boulot ma foi confortable et assez bien payé pour m’emmerder pendant des mois à dormir sur des couchettes quand ce n’est pas à même le sol, à partager des dortoirs avec des pétomanes, manger du cassoulet en boite, boire du Nescafé, et me retrouver à considérer que prendre une bière fraiche à une terrasse est un luxe que je ne peux décidemment pas me permettre.
Je dois être cinglé. Comme je regrette la Calle Cuiscoma aujourd’hui, ma petite maison dans le Barrio Maldito de Granada! Quelques pas m’auraient amené à la fraiche sur la Calzada boire une Victoria bien helada pour une vingtaine de Cordobas... 

Faire le tour du monde, c’est une lubie d’adolescent bourgeois, ou de cinquantenaire qui ne sait pas quoi foutre de sa vie et qui se dit, tiens, pourquoi ne pas faire le tour du monde? comme s’il parlait de descendre un week-end à la mer.
Eh ben voilà où ça m’amène! Dans la merde jusqu’au cou, un oeil vers l’atelier et l’autre vers le mouillage, me demandant, en rythme s’il vous plait, 
should i stay or should I go?
Yes my man. Si j’avais écouté mes parents, on n’en serait pas là. Quand je parlais de sauter de pont en pont, ce n’était pas talonné par la nécessité (encore que j’aurais bien aimé, au moins une fois, entendre siffler les sagaies de ma belle-famille autour de ma tête pendant que je pagaye comme un fou jusqu’à l’ile d’en face) Je voyais ça plus paisible, genre je prends bien mon temps pour choisir entre plusieurs bateaux dont les skippers sont tellement désespérés de m’avoir à bord qu’ils essaient de me saouler pour me faire embarquer. Je vérifie bien s’il y a un frigo qui fonctionne, un GPS, une couchette pour moi tout seul, une annexe avec un bon bourrin...
Ben non. A cheval donné on ne regarde pas la bouche, surtout s’il a une haleine de papou. On embarque d’abord et on discute après. Quinze jours en mer avec deux barbus séminaristes, je sens qu’on va s’éclater.
Je suis mauvaise langue. Si ça se trouve, ils sont très sympas. Et puis à vrai dire je m’en fous. Tant qu’on me laisse passer quelques heures allongé à la proue, le menton dans les mains à regarder la mer, je suis prêt à supporter n’importe quoi, même les mines de Nickel qui m’attendent au bout. Reprendre la mer...
Je suis de plus en plus accroché. La mer est une drogue dure, à accoutumance, ayant toute la puissance d’une révélation et une pureté, une vérité qu’aucun produit chimique ne donnera jamais. L’océan ne ment pas.