samedi 25 juin 2011

Hivaoa, Marquises

Pour les locaux j’étais «le petit ami de l’américaine». Maintenant qu’ils savent que j’ai débarqué, je suis «le déserteur» J’aime autant ce titre que l’autre. Etre déserteur dans une île du Pacifique, je trouve que cela a un certain chic.
Sinon c’est beau, les Marquises. C’est scénique, les gens sont agréables, le climat est paisible. Mais qu’est-ce qu’on s’y ennuie! Au bout d’une semaine, je suis presque désespéré de trouver un embarquement. Vincent, marin-pêcheur ici, part lundi mettre son bateau en cale sèche à Tahiti et accepte de me prendre à son bord. Son bateau est petit et il n’y a pas de couchette pour moi - ce qui ne me change pas beaucoup du My Way - donc je vais dormir sur le pont, enroulé dans mon hamac. Espérons qu’il n’y aura pas trop de grains nocturnes. Sinon j’ai retrouvé aujourd’hui Francisco, rencontré à Colon, un gallicien qui voyage en solitaire. Il m’a raconté qu’il avait failli se réveiller dans la falaise de Homotani. Et je crois qu’il ne verrais pas d’un mauvais oeil un équipier pour quelques jours, mais il est indécis sur sa destination alors que je suis de plus en plus précis sur la mienne. Mes fonds sont sérieusement en baisse et il faut que je tente ma chance à Tahiti. Travailler un mois ou deux, trouver un contrat dans le batiment ou aller récolter la coprah sur les îles. L’autre solution serait de continuer d’une traite jusqu’en Nouvelle Calédonie, où les possibilités de travail sont sans doute plus importantes mais quoi, je suis au milieu du Pacifique et j’aimerais bien y rester un peu.

dimanche 19 juin 2011

Hivaoa, Marquises

Je suis logé dans la «pension» de la mairie, un petit bungalow qui me coute 24 € par jour. Nous avons fait la clearance d’entrée et je ne suis officiellement plus menbre d’équipage du My Way I, ce dont je suis bien aise. Le Fou sur la Delfinière. Mon problème actuel, c’est que je suis marooned sur une île au milieu du Pacifique Sud, avec une espérance de vie d’un mois au plus et que je dois rendre le bungalow lundi midi au plus tard. La vie est très chère aux Marquises mais il n’est simplement pas question que je passe un jour de plus à bord. Le capitaine, qui pourtant m’avait dit que je pouvais rester sue le bateau jusqu’à leur départ, m’a annoncé que «pour raison de sécurité» le bateau devait restait fermé tant qu’il n’y était pas lui-même. Concrètement, il m’a foutu dehors, avec les moyens détournés et les protestations d’innocence qui sont sa spécialité.
Heureusement, j’ai rencontré, ou plutôt retrouvé, la charmante P** dont le bateau était à couple avec le nôtre sur le canal de Panama et qui a débarqué pour des raisons similaires aux miennes. Nous avons passé deux soirées à nous raconter et croyez-moi si je vous dit que le commerce d’une jolie femme après quarante jours en mer est un véritable cadeau des dieux. J’en ai oublié toute rancoeur et regarde maintenant l’avenir avec autant de curiosité que de détachement. P** a pris l’avion ce matin pour les Etats-Unis et je m’applique à écrire une annonce pour trouver un passage vers l’Ouest. J’ai caressé l’idée un moment de rester aux Marquises mais trouver travail et logement dans un environnement aussi dispendieux me parait un challenge encore difficile que de sauter sur le pont du prochain voilier en partance.

jeudi 16 juin 2011

Iles Marquises

Enfin! Après deux jours à dériver mollement vers la Terre Adélie, le capitaine s’est enfin décidé à mettre au moteur et ce matin nous sommes arrivés en vue des Marquises. Il voulait remettre encore à la voile mais le grognement de l’équipage était cette fois-ci plus qu’audible. Plus de cinq semaines en mer, nous ne parlons plus que de ce que nous allons manger, ou boire en arrivant. En ce qui me concerne, le premier effort sera de prendre une douche d’eau douce pour me débarasser des couches de sel que j’ai sur le corps. Toucher terre, retrouver ce bon vieux sol ferme sous les pieds, cesser d’être secoué dans tous les sens... Marcher aussi. J’ai considérablement maigri, ce qui est une bonne chose en soi, mais j’ai aussi perdu des jambes et je me sens comme atrophié. Marcher, découvrir cette île, ces îles autrement qu’en naviguant.

dimanche 12 juin 2011

Océan Pacifique

La nuit dernière, pendant mon quart, s’est produit le plus brutal et inattendu des changements sans que rien ne le laisse deviner. Il y avait jusque là un vent régulier et une mer lisse avec une longue houle qui poussaient vers l’Ouest sans que j’ai d’autre à faire qu’une légère correction de temps à autre. Le bateau avançait bien, j’écoutais de la musique au walkman, la lune nappait d’argent la route à suivre et j’augurais bien des prochaines heures. Puis tout à coup le génois à claqué. Le vent est devenu tournant, inconstant. La mer est devenue chaotique, une houle courte, croisée, des vagues jappantes qui venaient mordre les flancs du voilier comme une meute de chiens sentant la curée. J’ai passé le reste de mon quart debout, le corps tendu, tenant la barre à deux mains, les yeux allant sans cesse du cap à la voile à l’anémomètre, cherchant à contrarier ce chaos et soulager le bateau qui souffrait visiblement. Audiblement, pourrais-je dire.
Quand la relève est arrivée, je suis allé me coucher avec soulagement, pour faire un rêve absurde où j’étais poursuivi par un ours polaire. Une femelle, plus précisément, et il n’y a pas plus vindicatif qu’une mère qui croit son petit en danger. Cette nuit j’ai beaucoup couru...
 Je me suis réveillé ce matin tous les muscles douloureux, comme si j’avais été roué de coups. Je suis monté sur le pont pour trouver un Florent d’aussi méchante humeur que moi, ayant passé une nuit semblable, l’ours blanc en moins. Nous avons pesté de concert sur cette mer folle, ce capitaine lunatique, cette interminable traversée, ce bateau qui n’avance pas. Plus que 400 miles mais c’est une courbe asymptote. Chaque jour quand il fait son waypoint, Florent m’annonce des chiffres désespérant. La semaine dernière nous avions calculé une sobre moyenne de 120 miles par jour, soit à peu près cinq noeuds. Chaque jour il faut revoir à la baisse. 110, 100, 93... Non seulement notre cap est trop au Sud mais la coque est couverte de lamellobranches qui se sont développés de façon exponentielle depuis notre départ de Panama. Comme si elle avait une barbe d’un mois. Ce bateau déjà très lourd et très lent avance de moins en moins. Les rares fois où nous avons eu une voile à l’horizon, j’étais écoeuré de voir à quelle vitesse elle disparaissait dans le lointain. Pas même 4 noeuds de moyenne!

lundi 6 juin 2011

Océan Pacifique

Bientôt un mois que nous sommes en mer. Le temps s’étire interminablement. Il reste dix jours jusqu’aux Marquises. C’est du moins ce que nous nous disons depuis plusieurs jours en faisant le point. Alors que nous sommes dans les alizés établis, que le temps et la mer sont aussi propices que possible, le bateau semble de plus en plus lent. 110 nautiques dans les dernières vingt-quatres heures, pas même cinq noeuds de moyenne. Le capitaine veut épargner son gréement au maximum. Grand voile et artimon ont été enlevés déjà depuis plusieurs jours et à la moindre bouffée il enlève du génois. Alors qu’il fait un temps superbe et qu’on pourrait avancer à bonne vitesse, il grée comme si nous étions en tempête.
Les Marquises du coup font figure de terre promise et je fantasme dessus un peu plus qu’il n’est bon pour ma santé mentale. Mais à quoi d’autre occuper les journées? Seuls les repas et les quarts brisent un peu la monotonie. 
J’imagine qu’il y a un stade en mer, comme pour le Camino, où on ne désire plus arriver à l’escale, où la navigation se suffit à elle-même. Des gens comme Moitessier capables de passer plus de dix mois en mer, par exemple, ou ces courses autour du globe. Une chose est sûre, c’est un stade que je n’ai pas encore atteind et que je ne suis pas sûr de vouloir jamais atteindre.
Les Marquises... En cherchant dans mon souvenir, je m’aperçois qu’il y a très longtemps que j’en ai entendu parler. Quand j’étais enfant, dix ans à peine et que je commençais une collection de timbres. Mon père m’avait donné quelque uns des siens qu’il avait en double, en particulier une série de tableaux de maitres français. Renoir, Dufy, Chagall, Manet, Gauguin. De part leur petite taille, le tableau de Gauguin était celui qui me parlait le plus. Le dessin clair, les couleurs vives, il aurait pu sortir d’une bande dessinée.
Le titre dans le catalogue était «Le Chien Rouge» mais je voulais m’appliquer comme  j’avias vu faire mon père, alors je regardais les timbres à la loupe et Gauguin lui-même avait écrit en bas: Arearea.
Un très joli nom, un nom des Îles. On peut le fredonner, le chuchoter, le retourner en anagrame sans qu’il perde sa saveur. Maintenant qu’il ne me reste plus que dix jours jusqu’aux Marquises, je m’aperçois que je n’en connais pas la signification, que je n’ai jamais cherché à la connaitre, comme si ce nom se suffisait en soi, ayant sa musique propre...

jeudi 2 juin 2011

Océan Pacifique

Ce qui me sauve, ce sont les quart de nuit. La nuit montante ne se lève pas avant minuit et il y a autant d’étoiles dans le ciel que de poissons dans la mer. Comme notre course est à l’Ouest, je règle mon cap en cadrant Canopus sur la gauche du mat. Une étoile qui brille comme un diamant, scintillant de beaux reflets bleus et rouges, la seule de son intensité dans cette direction. Prises entre les haubans se trouvent la Croix du Sud à ma gauche, qui pour moi ressemble à un cerf-volant, et la Grande Ourse à ma droite, que je préfère nommer le chariot. Plus la soirée s’avance et plus le cerf-volant descend vers la mer tandis que l’attelage du chariot monte vers le zénith. Canopus disparait peu à peu alors que derrière moi une lune orange commence à pointer, faisant pâlir les étoiles quand elle gagne en intensité. 
Depuis quelques jours, faute d’électricité, il faut barrer pendant les quarts de nuit. Et je me sens ridiculement fier, pauvre marin d’eau douce, de pouvoir ainsi barrer en ne m’aidant que du ciel et du vent. L’équipage dort et je me sens le gardien de leur sommeil, cherchant le rythme et la fluidité. J’ai le sentiment d’être seul au monde. La seule conscience éveillée. Je me tiens debout, jambes écartées, le ventre vers l’avant, sentant les frémissements du bateau sous mes pieds nus, caressant la barre de deux doigts, attendant le roulis qui me fera la tourner sans le moindre effort, attentif aux voiles, attentif au vent, souriant de ces sensations qui vont bien au-delà de ma personne, ne pensant à rien, ne désirant rien, totalement ancré dans le présent.
Là est la jouissance. Le vent a baissé, la mer s’est lissée. Une large houle fait monter et descendre le bateau comme s’il était posé sur la poitrine d’un géant endormi. L’air humide caresse et console. La mâture tendrement gémit. Les vagues bruissent, chuchotantes, allumant cette mouvante noirceur de leurs faibles lueurs blanches. Au-dessus de ma tête,  dans son infini silence, l’Univers enfin se montre dans toute sa gloire. Ô, la nuit océane!