dimanche 12 juin 2011

Océan Pacifique

La nuit dernière, pendant mon quart, s’est produit le plus brutal et inattendu des changements sans que rien ne le laisse deviner. Il y avait jusque là un vent régulier et une mer lisse avec une longue houle qui poussaient vers l’Ouest sans que j’ai d’autre à faire qu’une légère correction de temps à autre. Le bateau avançait bien, j’écoutais de la musique au walkman, la lune nappait d’argent la route à suivre et j’augurais bien des prochaines heures. Puis tout à coup le génois à claqué. Le vent est devenu tournant, inconstant. La mer est devenue chaotique, une houle courte, croisée, des vagues jappantes qui venaient mordre les flancs du voilier comme une meute de chiens sentant la curée. J’ai passé le reste de mon quart debout, le corps tendu, tenant la barre à deux mains, les yeux allant sans cesse du cap à la voile à l’anémomètre, cherchant à contrarier ce chaos et soulager le bateau qui souffrait visiblement. Audiblement, pourrais-je dire.
Quand la relève est arrivée, je suis allé me coucher avec soulagement, pour faire un rêve absurde où j’étais poursuivi par un ours polaire. Une femelle, plus précisément, et il n’y a pas plus vindicatif qu’une mère qui croit son petit en danger. Cette nuit j’ai beaucoup couru...
 Je me suis réveillé ce matin tous les muscles douloureux, comme si j’avais été roué de coups. Je suis monté sur le pont pour trouver un Florent d’aussi méchante humeur que moi, ayant passé une nuit semblable, l’ours blanc en moins. Nous avons pesté de concert sur cette mer folle, ce capitaine lunatique, cette interminable traversée, ce bateau qui n’avance pas. Plus que 400 miles mais c’est une courbe asymptote. Chaque jour quand il fait son waypoint, Florent m’annonce des chiffres désespérant. La semaine dernière nous avions calculé une sobre moyenne de 120 miles par jour, soit à peu près cinq noeuds. Chaque jour il faut revoir à la baisse. 110, 100, 93... Non seulement notre cap est trop au Sud mais la coque est couverte de lamellobranches qui se sont développés de façon exponentielle depuis notre départ de Panama. Comme si elle avait une barbe d’un mois. Ce bateau déjà très lourd et très lent avance de moins en moins. Les rares fois où nous avons eu une voile à l’horizon, j’étais écoeuré de voir à quelle vitesse elle disparaissait dans le lointain. Pas même 4 noeuds de moyenne!