lundi 6 juin 2011

Océan Pacifique

Bientôt un mois que nous sommes en mer. Le temps s’étire interminablement. Il reste dix jours jusqu’aux Marquises. C’est du moins ce que nous nous disons depuis plusieurs jours en faisant le point. Alors que nous sommes dans les alizés établis, que le temps et la mer sont aussi propices que possible, le bateau semble de plus en plus lent. 110 nautiques dans les dernières vingt-quatres heures, pas même cinq noeuds de moyenne. Le capitaine veut épargner son gréement au maximum. Grand voile et artimon ont été enlevés déjà depuis plusieurs jours et à la moindre bouffée il enlève du génois. Alors qu’il fait un temps superbe et qu’on pourrait avancer à bonne vitesse, il grée comme si nous étions en tempête.
Les Marquises du coup font figure de terre promise et je fantasme dessus un peu plus qu’il n’est bon pour ma santé mentale. Mais à quoi d’autre occuper les journées? Seuls les repas et les quarts brisent un peu la monotonie. 
J’imagine qu’il y a un stade en mer, comme pour le Camino, où on ne désire plus arriver à l’escale, où la navigation se suffit à elle-même. Des gens comme Moitessier capables de passer plus de dix mois en mer, par exemple, ou ces courses autour du globe. Une chose est sûre, c’est un stade que je n’ai pas encore atteind et que je ne suis pas sûr de vouloir jamais atteindre.
Les Marquises... En cherchant dans mon souvenir, je m’aperçois qu’il y a très longtemps que j’en ai entendu parler. Quand j’étais enfant, dix ans à peine et que je commençais une collection de timbres. Mon père m’avait donné quelque uns des siens qu’il avait en double, en particulier une série de tableaux de maitres français. Renoir, Dufy, Chagall, Manet, Gauguin. De part leur petite taille, le tableau de Gauguin était celui qui me parlait le plus. Le dessin clair, les couleurs vives, il aurait pu sortir d’une bande dessinée.
Le titre dans le catalogue était «Le Chien Rouge» mais je voulais m’appliquer comme  j’avias vu faire mon père, alors je regardais les timbres à la loupe et Gauguin lui-même avait écrit en bas: Arearea.
Un très joli nom, un nom des Îles. On peut le fredonner, le chuchoter, le retourner en anagrame sans qu’il perde sa saveur. Maintenant qu’il ne me reste plus que dix jours jusqu’aux Marquises, je m’aperçois que je n’en connais pas la signification, que je n’ai jamais cherché à la connaitre, comme si ce nom se suffisait en soi, ayant sa musique propre...