On m’en avait parlé, mais je dois dire que la réalité dépasse l’imagination. Total ghetto. Ce genre de chaleur exaspérante à laquelle on sait qu’on ne peut échapper, pas même aux heures du petit matin, accompagnée par une odeur de décharge à ciel ouvert qui imprègne jusqu’au vêtements. Des “projects” alignés les uns derrière les autres, dans un état de délabrement total, et une hostilité latente qui me donnerait presque la nostalgie de Port of Spain. Je m’y suis promené le premier jour. Depuis, je prends des taxis. On n’abdique pas l’honneur d’être une cible, certes. Encore faut-il avoir fait quelque chose pour mériter d’être une cible. Les types assis sur le pas des portes me regardaient comme s’ils se demandaient combien ils arriveraient à tirer de mes vêtements et de ma carcasse. Je ne devais pas même valoir l’énergie requise pour me bloquer dans une ruelle. Ma chance.
Le plus révoltant est que cette misère est en parfait contraste avec la Zone Libre qui jouxte la ville, où les habitants ne peuvent rentrer sans passe-droit mais où les étrangers peuvent acheter ce qu’ils veulent, depuis les bijoux de luxe les plus extravagants jusqu’aux appareils électroniques les plus sophistiqués, libres d’impôts.
Panama est censément un pays indépendant, qui tire des ressources inouïes du canal, la plus grande voie de navigation de la planète. Comment se fait-il que ses habitants ne reçoivent pas même un miette de cette manne? Depuis ces immeubles pourris où même le cucarachas refusent de rester, on voit passer des bateaux de croisière dont le moindre dépense plus en combustible et frais de douane que le budget annuel de la ville...
J’ai renoncé à comprendre mais du coup je me suis installé dans l’hotel Washington, tout à fait au nord de la ville. Trop cher pour ma bourse mais j’ai une vue splendide sur l’entrée du canal et le mouillage des cargos qui attendent de passer. Sans parler d’une piscine. L’hotel a connu des jours meilleurs. Il a juste cette touche de décrépitude qui le rend attirant et le staff est tout de même un peu moins antipathique que le reste de la population locale.
Mes contacts avec le bateau sont sporadiques. Je peux suivre avec Google sa trajectoire et envoyer des messages via satellite. Il devrait arriver après-demain, ou demain dans la nuit.
Mon problème immédiat est qu’il y a deux marinas à Colon. La première, le Nautica, est à l’Est de la ville, à dix minutes à pied. Le second est de l’autre coté du canal, à une demi-heure en voiture. 25$ en taxi.
La différence est de taille et il me faut revoir ma copie: J’imaginais que, même si le bateau n’arrivait pas, je n’avais qu’à me poser à Colon jusqu’à trouver un autre embarquement, un pis-aller. La réalité est visiblement plus contraignante: Si j’avais dû attendre un passage, il m’aurait fallu trouver un hotel bien meilleur marché (et mes tentatives en ce sens n’ont pas été très probantes) et passer une annonce dans les deux marinas en priant bien fort Neptune et Hermes et votre dieu de prédilection d’avoir rapidement une réponse positive avant de me retrouver sans un sou vaillant.
Donc je croise les doigts en espérant que le My Way va effectivement arriver à la date prévue et que son capitaine est un homme de parole.
Ce que je crois. Je viens de recevoir un autre message. A moi de trouver une place à la marina. A moi de trouver la marina. Je vais au Nautica demain matin à la première heure pour trouver un quai pour un ketch de 17 mètres (avec bout-dehors) et 4.50 de portée. Je n’ai pas la moindre idée de comment négocier une telle chose mais de part mes propres nécessités, je me sens capable de trésors de diplomatie.
Pour le peu que je sais, le My Way a une certaine amplitude. 4 mètres 50, c’est confortable. C’est un formosa 51, ce qui de devrait signifier 51 pieds, un peu plus de quinze mètres mais je n’ai certes rien contre un mètre supplémentaire...
Etonnant, tout de même, à quel point je peux projeter l’espace vital. Au moins jusqu’aux Marquises nous seront trois à bord. Mon propre banc, sinon ma propre cabine...