samedi 16 avril 2011

Panama, Panama

Je suis à Panama et le bateau a pris du retard, ce que je déplore. J’aurais pu rester chez moi à Granada au lieu de payer une chambre d’hotel ici. Le voyage en bus depuis Granada était épuisant, plus de trente heures. En Amérique Centrale, plus un voyage est cher et plus il fait froid. Une forme de snobisme qui m’échappera toujours mais comme je voyageais en “ejecutivo”, on était à la limite de la cryogénisation. Tout le monde dans le bus était habillé comme pour traverser l’Antarctique, avec le bonnet et les gants. J’avais des chaussettes, un pantalon long, un pull d’alpaga, une écharpe et c’était à peine supportable. 
Je supporte la chaleur. Elle peut m’incommoder, me soustraire, mais le froid me fait mal. Le froid me fait souffrir, et plus encore quand c’est un froid artificiel qui n’a pas lieu d’être sinon pour sacrifier à des conventions stupides qui, elles non plus, n’ont pas lieu d’être. Un ridicule gaspillage d’énergie - un véhicule qui utilise l’air conditionné brûle 30% de plus de combustible que celui qui se contente d’ouvrir les fenêtres - mais il n’y avait pas de thermostat à bord, donc c’était à fond sinon rien.
Le plus étonnant je crois, c’est que la connerie humaine arrive encore à me mettre en colère. Trente heures de bus dans une glacière, j’imagine que la fatigue et le stress inhérent à ce changement de température y était pour beaucoup. J’ai attrapé le steward et j’ai failli le menacer de mort si la température ne montait pas de quelque degrés dans les heures suivantes. Il m’a regardé sans comprendre. Je leur déniais un luxe, le luxe d’avoir froid dans un pays où il est rare de passer en-dessous de trente degrés. Je me suis calmé et me suis emmitouflé avec tout ce que je possédais, espérant que le T-shirt autour de ma tête arriverait à étouffer un peu la bande-son des films de série B censés nous entretenir pendant cette longue et douloureuse épopée. 
Je pensais au bateau qui m’attendait. La mer, le silence, l’espace. La solitude des quarts de nuit, l’appel de l’infini entre mer et eau. Devant une telle perspective, je pouvais, je devais supporter un bus qui sentait comme la chambre froide d’un supermarché après une panne de courant. Mon voisin était un jeune panaméen qui passait son temps à envoyer des mots d’amour à sa dulcinée sur son cellulaire flambant neuf. Ses deux pouces n’y suffisait pas. De temps à autre il se passait un peu de cumbia de Colombie pour calmer son niveau de téstotérone mais même en dormant il continuait à agiter les bras comme un sémaphore déglingué. Je n’ai pas réussi à sympathiser, surtout quand il s’est agi de gagner quelques centimètres d’espace vital pendant la nuit, d’essayer de se tourner avec les jambes emmélées sous le siège avant, les genoux douloureux de ne pouvoir se détendre, et cette chaleur corporelle qu’on aurait préféré éviter. Coups de coudes, coups de hanches, haleine de papou au petit matin, bonjour, avez-vous bien dormi?
Non. Ne m’adresses même pas la parole. Pétomane, éructomane, juste un autre humain qui pue du bec trop près de moi et tu n’arriveras pas à m’émouvoir avec Cecilia (le nom de sa fiancée) qui tapote sur son portable à trois heures du matin, heure  locale. 
Et je me dis que ce n’est probablement pas la bonne attitude à avoir pour quelqu’un qui est censé passer les deux prochains mois dans un espace aussi restreint avec des gens qu’il ne connait pas, mais dieu merci pas d’air conditionné, pas de Cécilia et on pète en plein vent. Ou sous le vent, je ne sais pas, je manque de données.