A force d’appeler les autorités du canal, nous avons eu une ouverture du jour au lendemain. Mañana?? Mañana! Branle-bas de combat, il a fallu tout ranger et préparer en moins de vingt-quatres heures, s’assurer des lignes et des parbattages, des “handliners” et du pilote, le tout un jour férié. Comme on gagnait quand même une semaine par rapport à l’agenda initial, on a fait tout ce qui fallait et effectivement, nous étions au Flats à 4 heures de l’après-midi, et effectivement nous avons passé les écluses de Gatun dans la soirée.
C’est ce matin que nous avons déchanté, quand les pilotes sont montés à bord de tous les bateaux sauf le notre... il est midi, j’ai appelé régulièrement toutes les heures et nous savons maintenant que nous n’aurons pas de pilote avant demain matin. Alors nous sommes au mouillage sur le lac Gatun, ce qui pourrait être plaisant, mais la bouée est à cinquante mètres de la route qu’utilisent tous les camions travaillant pour les travaux d’agrandissement du canal, prévu en 2014. Donc 24 heures sur 24, à raison d’un camion toutes les deux minutes...
Nonobstant, il y avait quelque chose de vraiment spécial dans le passage des écluses. Se retrouver enfermé avec un énorme cargo entre ces gigantesques portes de fer, sentir la montée des eaux. L’ingénierie humaine. Cette capacité à dépasser l’élémentaire, à faire monter des bateaux dans les airs. A manier des masses et des volumes qui dépassent tellement nos forces physiques que nous rendons des points même aux fourmis.
Et en voyant ce défilé incessant de camions courant parallèles à la rive, je ne pouvais m’empêcher de penser aux fourmis. Juste une question de dimensions, ou plus simplement de perspectives, mais l’humanité parfois agit avec l’efficacité et le pouvoir de synchronisation des fourmis, comme si en définitive nous étions capables, en dehors de toute vélléité individuelle, de concevoir et exécuter en commun des pyramides, des canaux, des barrages, même des fourmillières.