Ce matin nous avons passé à la fois les trois semaines de navigation et la barre des 2000 nautiques restant jusqu’aux Marquises, soit environ deux semaines de plus. L’ambiance à bord est morose. Il n’y a plus de frais, pas même les choux mal stockés qui ont pourri au fond de leur sac. Donc c’est riz, pâtes et boites de conserve. Il n’y a pas une goutte d’alcool à bord, ce qui est peut-être souhaitable du point de vue de la sécurité mais pas de l’ambiance. En fait il y a du champagne, qu’on était censé ouvrir en passant l’équateur mais voilà, sans frigo, ça perd un peu de son appel.
Entre le capitaine et moi les rapports se font de plus en plus distants. Sans vouloir paraitre particulièrement snob, on peut dire que nous n’avons pas les mêmes valeurs. L’autre jour, au cours d’une discussion, me sont venus trois vers de Hugo. Il l’a pris comme une agression personnelle. Quand j’ai eu fini de réciter, il m’a demandé ” c’est tout?” et s’est mis à entonner “tiens, tiens, voilà du boudin...” Après tout, à quoi peut-on s’attendre de la part d’un type qui prend sa philosophie dans les films de Jean-Claude Van Damme, sa géopolitique dans les romans de SAS et m’annonce Jean Lartéguy comme sa plus haute référence littéraire?
Comme je ne peux plus utiliser l’Ipad faute d’électricité, j’en suis réduit à lire la bibliothèque du bateau. Entre les oeuvres complètes de Henry de Monfreid et quelques polards bas de gamme de France Loisirs, j’ai tout de même trouvé les Contes des Mers du Sud de London et un Fred Vargas que je trouve tendre, loufoque, inventif, un plaisir inespéré au milieu de cette misère intellectuelle. Je le lis à petites doses, conscient de ce qu’il est le dernier tant que je ne pourrai pas recharger l’Ipad, où m’attendent entre autre le dernier Pynchon et quelques Conrad.