samedi 14 mai 2011

Océan Pacifique

Les deux premières vingt-quatre heures se sont très bien passées. Peu ou pas de vent, au moteur, poussés par un courant de sud, une mer aussi lisse qu’un lac. Je me disais fièrement que le mal de mer ne passerait pas par moi. Le premier soir, une bande de dauphins est venu jouer autour du bateau. Il faisait presque nuit mais la mer était presque lumineuse, chargée en plancton. Leurs corps faisaient des étincelles, laissant derrière un sillage de plusieurs mètres qui montrait bien en même temps la rigueur et le coté fantasque de leurs trajectoire. Comment ne pas envier cette fluidité, cette maitrise totale de l’élément? Je me suis mis à la proue pour les regarder évoluer jusqu’à ce qu’ils se lassent de notre présence et partent jouer ailleurs. Je l’ai pris comme d’heureuse augure, comme s‘ils étaient venus un instant nous montrer le chemin, ou du moins s’assurer que nous allions bien dans la bonne direction.
Deux jours plus tard, même la vue des dauphins ne me rendait pas le sourire. Nous avions mis à la voile et le vent de sud-ouest qui se levait était exactement à l’opposé de notre cap. Pour la première fois depuis plus de trente ans m’est revenu en mémoire cette tirade de Molière
- Mais que diable allait-il faire dans cette galère?
Secoué dans tous les sens, l’estomac retourné, la bile au lèvres, me cognant partout... Comme je regrettais tout à coup l’énorme cargo avec lequel j’avais traversé l’Atlantique trois ans plus tôt! Impossible. Jamais je ne tiendrais deux mois dans ces conditions. Quelle idée j’avais eu d’embarquer sur un voilier, un voilier qui en plus n’allait pas toucher terre avant un mois au mieux?! De plus, j’étais fourbu. Sur un voilier, le corps est sans cesse sollicité, jamais en repos, même quand on dort. J’avais des courbatures dans des muscles dont j’avais jusque là ignoré l’existence, sans parler de douleurs aux articulations dûes à l’humidité ambiante. Anéanti physiquement et mentalement, sans porte de sortie, maudissant mes idées romantiques. Que diable faisais-je dans cette galère?